Résorber la pollution des captages d'eau potable

De nombreux captages d’eau sont pollués en France et les autorités publiques peinent souvent à rétablir durablement la qualité de l’eau des captages pollués. La multiplication des abandons de captages d’eau potable en témoigne :  entre 1994 et 2013, 7 716 captages d’eau destinée à la consommation humaine ont été abandonnés et 39% de ces abandons sont liés à la pollution de l’eau, due notamment aux nitrates et aux pesticides agricoles.

 

Le présent article a pour objet de présenter les obligations de l’administration en cas de pollution d’un captage d’eau. La méconnaissance éventuelle de ces obligations peut être invoquée par des associations ou des particuliers souhaitant agir devant les juridictions pour rétablir la qualité de l’eau.

 

L’obligation de surveillance des captages d’eau et la définition des paramètres de qualité de l’eau 

Depuis les années 1990, afin d’améliorer la qualité de la ressource en eau, le réseau de surveillance a été renforcé (a) et de nouveaux indicateurs sont venus préciser la définition de la qualité de l’eau (b).

 

Cependant, ces dispositions n’ont pour le moment pas permis une amélioration suffisante de la qualité de la ressource : en 2018, près de 10% de la population était encore alimentée par une eau non conforme aux limites de qualité pour les pesticides. 

 

a. Obligation de surveillance des captages d’eau

 

Tous les captages d’eau sont soumis au contrôle sanitaire[1], assuré par l’Agence Régionale de Santé (ARS) ou un laboratoire agréé par le ministère[2].

 

Plusieurs types de paramètres sont recherchés : 

 

- les paramètres microbiologiques, mesurant la présence de bactéries, notamment les escherichia coli et entérocoques, susceptibles de provoquer des troubles digestifs ; 

- les paramètres organoleptiques, qui ne mesurent pas de risques pour la santé mais des éléments de confort de l’usager (couleur de l’eau, goût, etc.) ; 

- les paramètres chimiques, traduisant la présence de substances toxiques (pesticides, nitrates, plomb, nickel, arsénique, etc.) ; 

 - les paramètres indicateurs de radioactivité.

Pour le cas particulier des pollutions diffuses d’origine agricole (nitrates et pesticides), qui sont la première cause d’abandon des captages d’eau potable[3], le choix des substances à évaluer est adapté en fonction notamment « des activités agricoles locales, des surfaces cultivées et des quantités de pesticides vendues, ainsi que des pratiques locales d’approvisionnement des utilisateurs professionnels »[4]. Les substances recherchées dans l’eau d’un captage ne sont donc pas les mêmes d’une région à l’autre.

 

Les résultats des analyses et prélèvements ainsi obtenus font l’objet d’une publication en mairie[5]. 

 

Vous pouvez donc obtenir ces informations :

 

- auprès de la mairie ;

-  sur le site internet de l’ARS de votre région ;

 - sur le site du ministère de la santé et des solidarités, ici.

 

 

 

b. Les seuils de qualité de l’eau 

 

Premièrement, l’eau destinée à la consommation humaine doit être conforme à des limites de qualité définies par arrêté[6], portant sur des paramètres microbiologiques et physico-chimiques. 

Pour les pesticides, les limites de qualité ont été fixées sans évaluation toxicologique. En effet, les limites de qualité correspondent aux limites prescrites par la directive 80/778/CEE du 15 juillet 1980 relative à la protection des eaux destinées à la consommation humaine, reconduites par la directive 98/83/CE du 3 novembre 1998[7].

 

 Pourcentage de la population alimentée par de l’eau respectant les limites de qualité règlementaire pour les pesticides en 2017.

 

Source : Ministère des solidarités et de la santé, publié en 2018 sur le site Eau France.


Or, à cette époque, les outils d’analyse des eaux étaient bien moins performants qu’aujourd’hui : les seuils retenus correspondaient aux limites à partir desquelles les substances étaient repérables avec les technologies et les méthodes de l’époque. Elles n’ont donc pas de réelle signification sanitaire[8] mais sont des repères préventifs à partir desquels la personne responsable de la production ou de la distribution de l’eau devra suivre des procédures supplémentaires pour continuer à distribuer l’eau. 

 

Deuxièmement, l’administration française a prescrit la définition de « valeurs sanitaires maximales » ou « (Vmax) », qui correspondent à des seuils de dangerosité : l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) estime ainsi que l’ingestion pendant la vie entière d’une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la valeur sanitaire maximale (Vmax) n’entraîne aucun effet néfaste pour la santé.

 

Troisièmement, sont également définies des références de qualité[9], dont le dépassement n’a pas d’impact direct sur la santé, mais peut traduire des dysfonctionnements du traitement et peut être à l’origine d’inconfort ou de désagrément pour le consommateur.

 

Les limites de qualité et références de qualité sont fixées par un arrêté du 11 janvier 2007, que vous pouvez consulter ici

 

La procédure à suivre par les autorités administratives en cas de non-conformité aux seuils de qualité

 

Le préfet a l’obligation générale d’ordonner la restriction des usages de l’eau ou l’interruption de sa distribution dès lors qu’il existe un risque sanitaire (établi par un rapport de l’ARS ou de l’ANSES). Ces restrictions peuvent être prévues pour certains groupes de personnes (femmes enceintes et nourrissons, par exemple) ou pour certains usages (alimentaires, par exemple)[10].

 

Au-delà de cette garantie minimale, le code de la santé publique prévoit différentes procédures en cas de non-conformité aux limites de qualité, en fonction de son caractère ponctuel (a) ou prolongé (b).

 

a. Non-conformité ponctuelle aux seuils de qualité 

 

(i) Non-conformité aux références de qualité

D’après l’article R. 1321-28 du code de la santé publique, lorsque les références de qualité ne sont pas satisfaites, le préfet, sur le rapport du directeur général de l'agence régionale de santé, peut, s’il estime que la distribution présente un risque pour la santé des personnes, demander à la personne responsable de la production ou de la distribution d'eau de prendre des mesures correctives pour rétablir la qualité des eaux[11].

 

On entend par mesures correctives toutes les actions qui permettent, à court terme, de respecter à nouveau les références de qualité. Il peut s’agir d’optimiser le traitement par charbon actif déjà en place, de mélanger l’eau avec une autre ressource de meilleure qualité lorsqu’une interconnexion existe ou est possible, ou encore d’arrêter un pompage problématique.

 

(ii) Non-conformité aux limites de qualité

 

En cas de dépassement des limites de qualité, d’après l’article R. 1321-27 du code de la santé publique, la personne responsable de la production ou de la distribution d’eau doit obligatoirement prendre « les mesures correctives nécessaires afin de rétablir la qualité de l'eau ».

 

De plus, l’article R. 1321-26 du code de la santé publique prévoit que la personne responsable de la production ou de la distribution d'eau doit effectuer immédiatement une enquête afin de déterminer la cause de la pollution et transmettre ces informations au maire et au directeur général de l’agence régional de santé.

 

Dans tous les cas où des mesures correctives sont prises, la personne responsable de la production ou de la distribution de l’eau doit obligatoirement en informer les consommateurs et prodiguer, le cas échéant, des conseils pour un usage sécurisé de l’eau[12]. 

 

(iii) Non-conformité prolongée aux seuils de qualité : dérogations accordées par le préfet

 

Population ayant été alimentée par une eau au moins une fois non conforme aux limites de qualité pour les pesticides (situations NC0, NC1 et NC2) – Année 2018

Dans les cas où il est impossible de rétablir immédiatement la qualité de l’eau pour respecter les limites de qualité et à condition que le dépassement de la limite de qualité ne représente pas un risque pour la santé des personnes, la personne responsable de la production ou de la distribution de l’eau peut demander au préfet une dérogation pour pouvoir continuer à distribuer l’eau[13].


Un plan d'action concernant les mesures correctives permettant de rétablir la qualité de l'eau est obligatoirement établi par la personne responsable de la distribution d'eau préalablement à la demande de dérogation[14]. Les agences régionales de santé veillent à la pleine application de ce plan d’action et des sanctions peuvent être prises si la personne responsable de la distribution de l’eau ne parvient pas à démontrer des avancées significatives dans le suivi du plan[15].

Cette dérogation ne peut être accordée en cas de dépassement des limites de qualité pour les paramètres microbiologiques : elle peut seulement l’être en cas de dépassement des limites de qualité pour les paramètres physico-chimiques[16].

L’article R. 1321-32 du code de la santé publique met en place deux procédures de dérogation distinctes : une procédure « légère » et une procédure « complète ». 

 

(iv) Procédure de dérogation « légère »

 

La procédure de dérogation légère est utilisée lorsque le non-respect des limites de qualité est sans gravité et lorsque les mesures correctives permettent de corriger la situation dans un délai de trente jours maximum[17]. Cette procédure de dérogation ne peut être mise en œuvre si la non-conformité a été observée pendant plus de trente jours au cours des douze mois précédents[18].

 

Dans le cadre de cette procédure de dérogation, l’information de la population concernée est effectuée par la personne responsable de la production ou de la distribution de l’eau[19].

 

(v) Procédure de dérogation « complète » 

 

Si la mise en conformité de l’eau ne peut être obtenue sous trente jours ou si l’eau a déjà été non-conforme à la limite de qualité pendant plus d’un mois au cours des douze mois précédents, la procédure de dérogation complète s’applique[20].

 

Le préfet doit alors prendre un arrêté après avis du Conseil supérieur de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (sauf urgence). Cet arrêté doit mentionner un certain nombre d’éléments concernant l’unité de distribution concernée, les motifs de la demande de dérogation, le délai imparti pour corriger la situation, la population touchée, les résultats pertinents de contrôle antérieurs, le résumé du plan d’action concernant les mesures correctives nécessaires.

 

La dérogation est valable pour une durée maximale de trois ans[21]. Elle fait l’objet de notification à la Direction générale de la santé, et à la Commission européenne pour les plus grosses unités de distribution[22]. Deux dérogations peuvent être accordées, avec une justification supplémentaire pour la seconde dérogation[23]. Exceptionnellement, une troisième dérogation peut être accordée par la Commission européenne[24]. 

 

Pour cette procédure « complète » de dérogation, le préfet s’assure auprès de la personne responsable de la distribution d'eau que la population concernée par une dérogation est informée rapidement et de manière appropriée de la dérogation et des conditions dont elle est assortie. Le préfet veille aussi à ce que des conseils soient donnés aux groupes de population spécifiques pour lesquels la dérogation pourrait présenter un risque particulier[25].

 

(vi) Disposition commune aux deux types de dérogations : la détermination d’une valeur maximale admissible pour le paramètre concerné


Pour les deux types de dérogations, le préfet fixe une « valeur maximale admissible » pour le paramètre concerné et le délai imparti pour corriger la situation[26].


Cette « valeur maximale admissible » est une valeur inférieure aux limites règlementaires et « à la valeur sanitaire maximale tout en prenant en compte les incertitudes d’analyse » (ou à tout autre seuil de dangerosité établi par l’ANSES)[27].


Pour les pesticides, lorsque la valeur sanitaire maximale d’un pesticide n’est pas disponible, le préfet doit solliciter auprès de la Direction Générale de la Santé un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), qui évaluera l’impact sanitaire de la substance considérée. 


Dans l’attente du retour d’expertise de l’ANSES et dans tous les cas où l’ANSES n’est pas en mesure de déterminer la valeur sanitaire maximale d’une substance, il est recommandé aux préfets de restreindre les usages de l’eau dès que la limite de qualité est dépassée (0,1 microgramme/ litre pour les pesticides).

 

* * *

Ainsi, les procédures à suivre par l’administration en cas de pollution d’un captage d’eau sont particulièrement complexes et le dispositif des dérogations peut inciter les personnes responsables de la distribution ou de la qualité de l’eau à mettre en œuvre des mesures rapides (amélioration du filtre, interconnexions) sans s’attaquer aux causes de la pollution.  

Aussi, les assises de l’eau, organisées en 2018 et 2019 avec l’ensemble des acteurs de l’eau, ont constaté l’insuffisance des mesures prises et ont abouti sur les objectifs suivants :

-  Engager un plan d’action visant à réduire les pollutions diffuses d’origine agricole et non agricole sur tous les captages prioritaires avant fin 2021 ;

- Déployer des engagements formalisés entre les acteurs du territoire sur au moins 350 captages prioritaires d’ici 2022, lesquels seront portés à 500 d’ici 2025.

Pour que ces objectifs soient atteints et pour prévenir la détérioration de la qualité de l’eau potable conformément à l’article 7 de la directive cadre sur l’eau (2000/60/CE), les particuliers et les associations peuvent jouer un rôle de sentinelles, en s’assurant du respect des obligations générales et spéciales en matière de protection des captages d’eau potable.


[1] L’article L. 1321-4 du code de la santé publique dispose : « toute personne publique ou privée responsable d'une production ou d'une distribution d'eau au public (…) est tenue de : 1° Surveiller la qualité de l'eau (…), 2° Se soumettre au contrôle sanitaire ; (…) 3° Prendre toutes mesures correctives nécessaires en vue d'assurer la qualité de l'eau, et en informer les consommateurs en cas de risque sanitaire (…) 6° Se soumettre aux règles de restriction ou d'interruption, en cas de risque sanitaire, et assurer l'information et les conseils aux consommateurs dans des délais proportionnés au risque sanitaire. ».

[2] Article L.1321-5 du code de la santé publique.

[3] Direction Générale de la Santé, ‘Abandons de captages utilisés pour la production d’eau destinée à la consommation humaine’ (2012), page 11.

[4] D’après l’instruction DGS/EA4 numéro 2010-424 du 9 décembre 2010. La méthode pour la mise à jour de la liste des pesticides recherchés est disponible ici
[5] Article L1321-9 du code de la santé publique dispose que : « Le représentant de l'Etat dans le département est tenu de communiquer régulièrement aux maires les données relatives à la qualité de l'eau distribuée, en des termes simples et compréhensibles pour tous les usagers. Les données relatives à la qualité de l'eau distribuée font l'objet d'un affichage en mairie et de toutes autres mesures de publicité appropriées dans des conditions fixées par décret. »

[6] Ibid. 

[7] Ces seuils sont définis comme suit : 

- 0,03 μg/l pour l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et l’heptachloroépoxyde ; 

- 0,10 μg/l pour chaque autre substance de pesticide ; 

- 0,50 μg/l pour le total des pesticides quantifiés. 

[8] Instruction DGS/EA4 numéro 2010-424 du 9 décembre 2010

[9] Article R. 1321-3 du code de la santé publique.

[10] Article R. 1321-29 du code de la santé publique. 

[11] Article R. 1321-28 du code de la santé publique. 

 

[12] Article R. 1321-30 du code de la santé publique. 

[13] Article R. 1321-31 du code de la santé publique.

[14] Article R.1321-31 du code de la santé publique. 

[15] Instruction du DGS/EA4/2013/413 du 18 décembre 2013

[16] Article R.1321-31 du code de la santé publique.

[17] Article R. 1321-32 du code de la santé publique.

[18] Ibid.

[19] Instruction DGS/EA4 no 2013-413 du 18 décembre 2013 concernant l’application de l’arrêté du 25 novembre 2003 relatif aux modalités de demande de dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine, pris en application des articles R. 1321-31 à R. 1321-36 du code de la santé publique et d’information de la Commission européenne, ainsi que l’élaboration d’un bilan national sur les dérogations octroyées.

[20] Article R. 1321-32 du code de la santé publique.

[21] Article R. 1321-31 du code de la santé publique.

[22] Article 6 de l’Arrêté du 25 novembre 2003 relatif aux modalités de demande de dérogation aux limites de qualité des eaux destinées à la consommation humaine à l'exclusion des eaux minérales naturelles pris en application des articles R. 1321-31 à R. 1321-36 du code de la santé publique.

[23] Article R. 1321-33 du code de la santé publique.

[24] Circulaire DGS/SD7A n° 90 du 1er mars 2004 concernant l’application de l’arrêté du 25 novembre 2003 relatif aux modalités de demande de dérogation pris en application des articles R. 1321-31 à R. 1321-36 du code de la santé publique. 

[25] Article R. 1321-36 

[26] Article R. 1321-32.

[27] Instruction DGS/EA4/2013/413 du 18 décembre 2013.