Prévenir la pollution des captages d'eau potable

L’abandon des captages d’eau potable du fait de la pollution de l’eau est souvent le résultat de l’insuffisance des mesures préventives prises en amont. L’accent doit donc être mis sur ces mesures pour assurer une préservation durable de la qualité de l’eau. 

 

Différents dispositifs juridiques permettent de protéger les captages d’eau potable :

 

- des règles générales s’appliquent à tous les captages d’eau potable : tous les captages d'eau potable doivent faire l’objet d’une déclaration d'utilité publique ;
- certains captages sensibles ou vulnérables relèvent de prescriptions particulières :

o  les « captages prioritaires » ; et

o les captages situés au sein de zones vulnérables à la pollution par les nitrates découlant de la directive européenne « nitrates » de 1991.


Afin de connaître les dispositifs juridiques applicables au captage d’eau de votre commune, vous pouvez :

- vérifier sur le site du Ministère de la Transition écologique et solidaire si le captage est prioritaire et identifier son aire d’alimentation sur ce site ;

- vérifier sur le même site si le captage est situé sur une « zone vulnérable » à la pollution par les nitrates.


Ces informations sont également disponibles sur les sites des 7 Agences de l’eau.


Le présent article a pour objet de présenter ces dispositifs juridiques.

 

Les règles générales s’appliquant à tous les captages

En vertu de l’article L. 1321-2 du code de la santé publique, des périmètres de protection doivent être définis autour de tous les captages d’eau potable : un périmètre de protection immédiate, un périmètre de protection rapprochée et un périmètre de protection éloignée.

Ces périmètres sont définis par l’arrêté préfectoral portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau mentionné à l’article L.215-13 du code de l’environnement. 

Conformément à l’article L.1321-2 du code de la santé publique, ces périmètres protègent l’eau de manière graduelle, selon la distance par rapport au captage:

- dans le périmètre de protection immédiate, « les terrains sont à acquérir en pleine propriété » par les collectivités locales ;

- dans le périmètre de protection rapprochée « peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d'installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux » ;

- dans le périmètre de protection éloignée « peuvent être réglementés les installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols et dépôts ci-dessus mentionnés ». 

Par ailleurs, pour distribuer l’eau d’un captage, le responsable de la distribution de l’eau, qui peut être un concessionnaire, une collectivité (en particulier une commune), une association syndicale ou tout autre établissement public (article L. 215-13 du code de l’environnement), doit disposer d’autres autorisations, à savoir :

 

- une autorisation préfectorale pour pouvoir utiliser l’eau en vue de la consommation humaine (article L. 1321-7 du code de la santé publique) ;

- une autorisation de prélèvement d’eau au titre de la loi sur l’eau (article L. 214-1 du code de l’environnement), sauf lorsque le prélèvement est soumis à simple déclaration en application de l’article R. 214-1 du code de l’environnement.

Si vous souhaitez prévenir la pollution de l’eau d’un captage, il est opportun de s’assurer de l’existence et de la conformité de la déclaration d’utilité publique (i) et des autorisations pour prélever et distribuer l’eau (ii).

 

(i)  L’absence, l’irrégularité ou l’insuffisance de la déclaration d’utilité publique

Il convient d’abord de s’assurer qu’un arrêté portant déclaration d’utilité publique des travaux de prélèvement d’eau a bien été pris (sur le site de la préfecture ou en lui demandant communication de cet arrêté). En effet, il est très courant que cet arrêté n’ait toujours pas été pris.

 

Si cet arrêté a été pris, il doit définir trois périmètres de protection du captage. En effet, en vertu de l’article L. 1321-2 du code de la santé publique, un simple périmètre de protection immédiate peut être instauré, mais seulement dans deux cas exceptionnels : 

 

o « Lorsque les conditions hydrologiques et hydrogéologiques permettent d'assurer efficacement la préservation de la qualité de l'eau par des mesures de protection limitées au voisinage immédiat du captage » ; 

o pour « les captages d'eau d'origine souterraine dont le débit exploité est inférieur, en moyenne annuelle, à 100 mètres cubes par jour », sauf « lorsque les résultats d'analyses de la qualité de l'eau issue des points de prélèvement mentionnés au troisième alinéa du présent article ne satisfont pas aux critères de qualité fixés par l'arrêté »

 

Ensuite, l’arrêté portant déclaration d’utilité publique doit préciser les mesures d’interdiction, de restriction et de réglementation prises pour préserver la qualité de l’eau, qui constituent des « servitudes ». 

 

Préalablement à la déclaration d’utilité publique, l’avis d’un hydrogéologue agréé est requis (article 1er de l’arrêté du 15 mars 2011). Si les préconisations de l’hydrogéologue relatives à ces mesures n’ont pas été suivies, cela peut fournir une base sur laquelle contester l’arrêté.

 

Même si l’avis de l’hydrogéologue agréé a été suivi, le juge administratif peut opérer un contrôle poussé de l’étendue des périmètres de protection et de leur aptitude à garantir la qualité des eaux. Par exemple, un arrêté portant déclaration d’utilité publique d’un captage a pu être annulé au vu de risques d’infiltration alors que l’hydrogéologue agréé avait considéré que les mesures prises étaient suffisantes et alors qu’un test d’infiltration avait été réalisé et n’avait pas confirmé les risques (CE, 4 janvier 1995, Ministère de l’intérieur contre Rossi, n°94967).

 

Enfin, une enquête publique doit avoir eu lieu préalablement à la déclaration d’utilité publique (CE, 31 mai 1989, Compagnie générale d’entreprise automobile, n°50737).

 

(ii) L’absence ou l’irrégularité des autorisations pour prélever et distribuer l’eau

 

Il convient de vérifier que deux arrêtés préfectoraux ont bien été pris, autorisant le responsable de la distribution de l’eau à prélever l’eau (si les seuils de l’article R. 214-1 du code de l’environnement sont dépassés) et à l’utiliser en vue de la consommation humaine.

 

L’arrêté autorisant la distribution de l’eau peut notamment être illégal si le dossier de demande préalable adressé par le responsable de la distribution de l’eau au préfet ne contient pas certains éléments requis par l’arrêté du 20 juin 2007 et si cela a exercé une influence sur le sens de la décision prise par la préfecture ou si cela a privé les intéressés d’une garantie.

 

Les règles spéciales s’appliquant aux captages situés au sein d’une « zone soumise à des contraintes environnementales » 

Depuis la loi sur l’eau du 16 décembre 1964, l’eau est gérée à l’échelle du bassin hydrographique. A l’échelle de chaque bassin, un Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) fixe des objectifs de quantité et de qualité des eaux et identifie les aménagements et dispositions nécessaires pour atteindre ces objectifs (article L. 212-1 du code de l’environnement). Ce SDAGE est mis en œuvre par l’Agence de l’eau du bassin (article L. 213-8-1 du code de l’environnement).

 

C’est donc au niveau de chaque bassin que les « captages prioritaires » (les plus menacés par les pollutions diffuses) ont été identifiés suite au Grenelle de l’environnement et aux conférences environnementales, et c’est le SDAGE qui fixe les orientations pour la protection de ces captages. Des points de prélèvement « sensibles à la pollution diffuse », c’est-à-dire dépassant le seuil de risque, sont également identifiés par les SDAGE. Le dispositif prévu par les SDAGE pour la protection de ces captages « sensibles » est souvent analogue à celle des « captages prioritaires ». Il s’agit du dispositif des « zones soumises à des contraintes environnementales » (ZSCE).

Ce dispositif permet de mettre en place des mesures de protection de la ressource en eau au-delà des périmètres de protection de la déclaration d’utilité publique, car s’appliquant à toute l’aire d’alimentation du captage (articles L. 211-3 II 5° du code de l’environnement). 

 

Il s’agit cependant d’un dispositif négocié : le programme d’action est établi par le préfet, en concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements et les représentants des propriétaires et des exploitants des terrains concernés.  Le programme d’action est également soumis à l’avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, de la chambre départementale d'agriculture et, le cas échéant, de la commission locale de l'eau (articles R. 114-3 et R. 114-7 du code rural et de la pêche maritime).

 

Le programme d’action identifie des actions à promouvoir (sur une base volontaire) auprès des exploitants ou propriétaires des terrains situés sur la zone (par exemple l’utilisation raisonnée des intrants). Pour chaque action, des objectifs à atteindre sont fixés ainsi que des délais.

 

Si le préfet estime, un an après la publication du programme d’action, que les objectifs prévus ne seront pas atteints, il peut rendre obligatoires certaines mesures (article R. 144-8 du code rural et de la pêche maritime).

 

L’arrêté du préfet définissant le programme d’action pourra être annulé s’il n’a pas été élaboré régulièrement, c’est-à-dire si les consultations prévues par l’article R. 114-3 du code rural et de la pêche maritime ont été omises ou s’il ne comprend pas tous les éléments requis par l’article R. 114-6 et si ces irrégularités sont substantielles.

 

Il pourra aussi être annulé s’il n’est compatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE). Ce contrôle de « compatibilité » est cependant souple car il s’agit d’une « une analyse globale » consistant à rechercher si la décision administrative « ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, […] sans rechercher l’adéquation de [la décision administrative] au regard de chaque disposition ou objectif particulier » (CE, 21 novembre 2018, n°408175).

 

Les règles spéciales s’appliquant aux captages d’eau potable situés au sein de « zones vulnérables » aux pollutions par les nitrates

 

La directive n° 91/676/CE, dite directive « nitrates », prévoit la mise en place de mesures de protection additionnelles par les États membres dans les zones vulnérables à la pollution des eaux par les nitrates de source agricole. 

En application de cette directive, l’article R. 211-77 du code de l’environnement définit les zones vulnérables comme « toutes les zones alimentant des eaux atteintes par la pollution par les nitrates ou susceptibles de l’être et qui contribuent à la pollution ou à la menace de la pollution ». Peuvent également être désignées comme zones vulnérables certaines zones ne répondant pas à ces critères « afin de garantir l'efficacité des mesures des programmes d'action » qui découlent de cette désignation (article R. 211-77).

 

Les zones vulnérables sont délimitées par le préfet coordonnateur du bassin (le préfet de la région où le comité de bassin a son siège), « en concertation avec les organisations professionnelles agricoles, des représentants des usagers de l'eau, des communes et de leurs groupements, des personnes publiques ou privées qui concourent à la distribution de l'eau, des associations agréées de protection de l'environnement intervenant en matière d'eau et des associations de consommateurs. Le projet est simultanément soumis à la consultation des conseils régionaux et (…) des chambres régionales de l'agriculture, des agences de l'eau, et de la commission régionale de l'économie agricole et du monde rural intéressés par les désignations et transmis pour avis au comité de bassin » (article R. 211-77). 

 

Par la suite, des programmes d’action tendant à l'utilisation raisonnée de fertilisants azotés dans ces zones sont définis au niveau national et au niveau régional et sont rendus obligatoires (article R. 211-80 du code de l’environnement).

 

Au niveau national, le programme d’action prévoit notamment des périodes minimales d'interdiction d'épandage des fertilisants azotés et des prescriptions relatives au stockage des effluents d'élevage (article R. 211-81 du code de l’environnement). Les programmes d’actions régionaux sont complémentaires et visent à renforcer ces dispositions au vu des particularités locales (article R. 211-81-1 du même code).

 

L’application de cette directive a donné lieu à d’importants contentieux entre la France et la Commission européenne. La France a ainsi été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de justice au motif qu'elle n'avait pas pris les dispositions nécessaires pour que la qualité des eaux superficielles destinées à la distribution alimentaire du littoral breton soit conforme aux valeurs fixées par la directive (CJCE, 27 juin 2002, Commission c/ République française, Aff. C-258/00 ; CJUE, 4 sept. 2014, Commission c/ France, Aff. C-237/12). L’État a aussi été condamné par les juridictions administratives pour carence fautive dans l'application de ces réglementations (CAA Nantes, 1er décembre 2009, n° 07NT03775).

 

L’arrêté du préfet coordonnateur de bassin portant délimitation des zones vulnérables pourra notamment être annulé dans les cas suivants.

 

(i) Des consultations insuffisantes

 

L’article R. 211-77 du code l’environnement impose la consultation de nombreuses parties prenantes préalablement à la délimitation des zones vulnérables. Des arrêtés ont ainsi pu être annulés car les assemblées délibérantes du département et de la région (CAA de Douai, 13 mai 2002, n°99DA01824) ou certaines organisations professionnelles agricoles (TA de Lyon, 8 juin 2017, n°1505756) n’avaient pas été consultées et car cela avait exercé une influence sur le sens de la décision prise.

 

(ii) La prise en compte insuffisante des sources de pollution non agricoles

 

Le Conseil d’État considère que la délimitation des zones vulnérables peut valablement prendre en compte les pollutions d’origine non agricole. Ainsi, la délimitation des zones vulnérables, « telle que l'interprétation en a été donnée dans son arrêt du 29 juillet 1999 par la Cour de justice des communautés européennes (…) doit concerner les terres qui alimentent des eaux menacées ou atteintes par la pollution au nitrate, lorsque le rejet de composés azotés de source agricole contribue de manière significative à cette menace ou à cette pollution par les nitrates » (CE, 21 janvier 2002, n°220203). Un arrêté de délimitation ayant pris en compte des sources de pollution non agricoles pour inclure une zone dans le périmètre des « zones vulnérables » est donc légal.

 

On pourrait soutenir, a contrario, sur le fondement de cette jurisprudence, qu’un arrêté préfectoral n’ayant pas pris en compte les pollutions non agricoles et ayant ainsi exclu une zone du périmètre des « zones vulnérables » serait illégal.

 

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En définitive, le dispositif de protection des captages d’eau potable est pour le moins complexe et fragmenté, du fait de la juxtaposition de lois successives et des autorités compétentes. L’efficacité des mesures inscrites dans la loi n’est pas non plus au rendez-vous pour l’instant. Les Assises de l’eau, organisées en 2018 et 2019 avec l’ensemble des acteurs de l’eau, ont ainsi débouché sur le constat de l’insuffisance des mesures prises et ont abouti sur les objectifs suivants :

- Engager un plan d’action visant à réduire les pollutions diffuses d’origine agricole et non agricole sur tous les captages prioritaires avant fin 2021 ;

- Déployer des engagements formalisés entre les acteurs du territoire sur au moins 350 captages prioritaires d’ici 2022, lesquels seront portés à 500 d’ici 2025.


Pour que ces objectifs soient atteints et pour prévenir la détérioration de la qualité de l’eau potable conformément à l’article 7 de la directive cadre sur l’eau (2000/60/CE), les particuliers et les associations peuvent jouer un rôle de sentinelles, en veillant au respect des obligations générales et spéciales en matière de protection des captages d’eau potable.