La PAC post 2020 : entre re-nationalisation et promotion de l'agrobiodiversité

 

La réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) après 2020 semble devoir être placée sous le signe de la renationalisation. Le 1er juin 2018, la Commission européenne a en effet présenté une proposition de réforme visant à permettre aux États membres de définir eux-mêmes une stratégie nationale, basée sur des objectifs définis au niveau de l’Union, pour la PAC de demain. Cette réforme, bien qu’elle ait été retardée par les élections européennes, est à nouveau en cours de discussion au Parlement européen et au Conseil. Elle laissera aux Etats membres le soin d’opérer la difficile transition de la PAC, d’un dispositif de soutien au revenu des agriculteurs, basé d’abord sur la production puis sur les surfaces agricoles exploitées, à un dispositif de soutien à une agriculture véritablement durable.

 

Lorsqu’elle a été créée en 1962, la PAC avait en effet pour objectif principal de garantir un approvisionnement suffisant en produits alimentaires. Son épine dorsale était son premier pilier, qui fournit des paiements directs aux agriculteurs et régit les interventions étatiques sur les marchés agricoles. 

 

Depuis, en raison des crises de surproduction et de l’importance croissante des problématiques environnementales, le législateur européen a rompu avec le soutien à la production en « découplant » les aides des quantités produites, non sans controverses. En effet, les aides directes dépendaient jusqu’en 2015 des rendements historiques. Leurs montants étaient donc très disparates entre les différentes régions de l’Union.

 

Pour verdir la PAC, les aides directes perçues au titre du premier pilier de la PAC sont conditionnées, depuis 2005, au respect de certains critères environnementaux. Le législateur a en outre entrepris d’augmenter les fonds disponibles pour le second pilier, relatif au développement rural. Depuis 2015, les États membres ont la faculté de transférer jusqu’à 15% des fonds entre les deux piliers.

 

Pour accélérer la transition de l’agriculture européenne vers un modèle plus durable, la Commission considère aujourd’hui que laisser plus de souplesse aux Etats membres permettra de mieux adapter les aides aux besoins différenciés des agriculteurs. Elle propose de fixer des objectifs communs au niveau européen et de laisser aux Etats membres le soin de définir des plans stratégiques exposant la manière dont ils se proposent d'atteindre ces objectifs. La Commission évaluera chaque année les progrès accomplis sur la base d’indicateurs de réalisation, de résultat et d’impact fixés au niveau européen. Ces indicateurs seront déterminants : de leur niveau d’ambition dépendra le rôle que jouera la PAC dans la promotion de l’agrobiodiversité, entre autres choses, dans les années à venir. 

 

Un nouveau règlement sur les plans stratégiques contiendra les règles relatives à ces nouvelles règles de travail tandis que trois autres règlements seront modifiés (le règlement sur le financement, la gestion et le monitoring de la PAC, le règlement sur l’organisation commune des marchés et le règlement sur le programme LIFE).

 

Depuis la publication de la proposition de la Commission, ces textes ont donné lieu à un travail parlementaire considérable : un total de 6.912 amendements ont été déposés entre octobre et décembre 2018, un record depuis la création du Parlement européen. Les différents partis se sont mis d’accord sur des textes de compromis en avril 2019 mais ils n’ont pu être adoptés en plénière avant les élections européennes. Depuis la nomination de la nouvelle Commission et la prise de fonction des nouveaux députés, les discussions ont repris au Parlement, mais sur la base d’un nombre réduit d’articles-clés, relatifs pour la plupart au développement rural et aux questions environnementales, lesquels cristallisent de profondes divergences de vues entre la Commission agriculture (ComAgri) et la Commission environnement (ComEnvi) du Parlement européen. 

 

En effet, le compromis trouvé en ComAgri avant les élections relativement au règlement Plans Stratégiques accorde la primauté aux paiements directs aux agriculteurs. Le rapport de la ComAgri augmente notamment les fonds dédiés aux paiements directs (Pilier I – 60%) au détriment du Pilier II (développement rural) et des mesures écologiques volontaires (20%). Le rapport introduit cependant la notion d’agrobiodiversité dans une série de dispositions nouvelles, et notamment au sein des objectifs spécifiques fixés au niveau européen et au sein des indicateurs. 

 

Si le règlement Plans Stratégiques constitue le cœur de la réforme de la PAC à venir, le règlement Organisation commune des marchés agricoles (OCM) fixe quant à lui des mesures d’intervention sur les marchés, dans certains secteurs. Ces mesures peuvent avoir un impact notable sur la protection de l’agrobiodiversité. Ainsi, le rapport de la ComAgri introduit par exemple le critère de la conservation des ressources génétiques de la vigne pour l’obtention d’autorisations de plantation de la vigne. Il ne reprend cependant pas la proposition de la Commission tendant à autoriser les six cépages interdits (cépages issus de l’hybridation entre cépages européens et américains ou entre cépages américains au XIXe et nécessitant moins de traitements phytosanitaires car plus robustes).

 

La crise actuelle liée à l’épidémie de COVID-19 bouleverse actuellement l’agenda institutionnel et nul ne sait quand la nouvelle PAC pourra entrer en vigueur. Il est probable que la PAC actuelle fasse l’objet d’une prorogation, pour un ou deux ans. En attendant, il faut espérer que les textes nouveaux feront l’objet d’un travail sérieux, centré sur l’intérêt général et visant effectivement à engager l’agriculture européenne vers une transition écologique attendue de tous, et particulièrement des consommateurs européens.