Demander le retrait d'un Compteur linky en cas de symptômes d'intolérance aux champs électromagnétiques ou d'électrohypersensibilité : Petit mode d'emploi

Le droit européen (directive européenne n° 2009/72/CE) et le droit national (loi n° 2009/967 ; décret n° 2010-1022 désormais codifiés aux articles L. 341-4 et R. 341-4 du Code de l'énergie) ont prévu le déploiement généralisé de compteurs d'électricité dits communicants. L'obligation de déploiement de ces compteurs a été confirmée à de nombreuses reprises (notamment dans l'arrêt n° 346971 rendu le 20 mars 2013 par le Conseil d'Etat).

 

Ainsi, les distributeurs d'électricité exerçant une mission de service public sont contraints de respecter un calendrier, en application de l'article R. 431-8 du Code de l'énergie, afin de déployer un système de compteur communicant. Ce déploiement est justifié par un but d'information, de régulation de la consommation et d'économie de coûts et d'énergie.

 

Selon les articles L. 322-4 du Code de l'énergie et L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales, les compteurs sont la propriété des collectivités territoriales. Par conséquent, l'accord des clients n'est pas nécessaire pour procéder au changement. Il devra en revanche être obtenu pour l'intervention du technicien sur sa propriété.

 

En France, ce déploiement accéléré sans consultation préalable du public a fait naître de nombreux contentieux contre la société ENEDIS et l'installation de ses compteurs Linky. Pour plus s'information sur ce point, vous pouvez vous référer aux précédents articles publiés sur notre site.

 

Cet article s'intéresse spécifiquement aux enjeux sanitaires liés à une exposition aux champs électromagnétiques émis par ces compteurs pour les personnes souffrant d'électrohypersensibilité ou d'intolérance aux champs électromagnétiques. Il vise à souligner les moyens qui ont pu prospérer devant les juridictions judiciaires afin d'obtenir le retrait de ces nouveaux compteurs et obtenir leur remplacement.

 

D'après la définition donnée en 2005 par l'OMS, les termes "hypersensibilité aux champs électromagnétiques" ou "électrohypersensibilité" sont utilisés pour désigner un ensemble de symptômes variés et non spécifiques d'une pathologie particulière que certaines personnes relient à leur exposition aux champs électromagnétiques.

 

En juin 2017, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a publié les résultats de son expertise relative à l'évaluation de l'exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les compteurs communicants. Cette expertise a mis en évidence la grande complexité de la question de l'électrohypersensibilité ("EHS"), tout en concluant, en l'état actuel des connaissances, à l'absence de preuve expérimentale solide permettant d'établir un lien de causalité entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par les personnes se déclarant EHS.

 

Par ailleurs, l'Agence soulignait que la souffrance et les douleurs exprimées par les personnes se déclarant EHS correspondaient à une réalité vécue les conduisant à adapter leur quotidien pour y faire face.

 

L'ANSES a alors conclu à l'absence de risques.

 

Plus récemment, l'euro-députée Michèle Rivasi (Europe Ecologie Les Verts) a organisé, au Parlement européen, un atelier sur l'état de la science en matière d'hypersensibilité électromagnétique. Plusieurs experts scientifiques de divers domaines et plusieurs pays (France, États-Unis, Finlande, Royaume-Uni, Israël, etc.) confirmaient au cours des trois panels que le lien de causalité entre exposition aux champs électromagnétiques anthropiques (c'est-à-dire créés par l'être humain) et développement d'une pathologie EHS n'était pas scientifiquement et expérimentalement établi [1].

 

Ces mêmes experts soulignaient toutefois que de nombreux liens factuels indirects étaient observables, dont notamment une atténuation, voir une disparition, des symptômes lors d'un isolement loin des champs électromagnétiques. La médecin belge Magali Koelman (membre de l'EHS Réseau Santé) a également souligné à cette occasion que, dès l'invention de l'électricité au XVIIe siècle, les scientifiques attelés à ces recherches témoignaient de plusieurs symptômes, dont des maux de tête.

 

Aussi n'est-il pas surprenant que, dès le début du déploiement des compteurs Linky, de nombreuses personnes aient invoqué les risques liés à l'installation de ces compteurs pour leur santé du fait de leur électrohypersensibilité pour en refuser la pose. Des contestations sont alors nées afin de refuser l'installation de ces compteurs ou d'en demander le retrait.

 

Si l'interdiction de pose de compteurs au domicile des personnes électrosensibles [2] ou l'installation de filtres entre le compteur et le tableau électrique afin de minimiser la pollution des ondes [3] ont été accordées, seules deux ordonnances de référé ont prescrit le retrait des compteurs.

 

Ainsi, le président du Tribunal de grande instance de Tours a rendu une première ordonnance favorable le 30 juillet 2019 (n° 19/20244) afin de :

  • Faire procéder au retrait de l'appareil Linky, ou tout autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques, du domicile de 12 demandeurs dont le compteur était situé à l'intérieur ou à l'extérieur de leur habitation, et de ;
  • Distribuer à destination du point de livraison une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky, notamment les fréquences comprises entre 35'kHz et 95'kHz, y compris celles en provenance du voisinage immédiat du point de livraison objet du litige.

Plus récemment, une ordonnance de référé a été rendue par le Tribunal judiciaire de Saint-Etienne le 5 janvier 2023 (n° 22/00680) prescrivant à la société ENEDIS de remplacer le compteur Linky au domicile du requérant par un compteur non communiquant dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'ordonnance.

 

Il est à noter qu'ENEDIS a interjeté appel de ces deux ordonnances. Les procédures sont encore en cours à ce jour. Il est également à relever que d'autres ordonnances de retrait on pu être infirmées en appel. Dans d'autres cas, la pose d'un filtre a pu être substituée au retrait du compteur.

 

Le présent article détaillera les arguments retenus dans ces deux ordonnances et présentera les éléments-clés à invoquer pour demander le retrait du compteur en cas d'échec des négociations avec ENEDIS.

 

A titre liminaire, il vous appartient de contacter ENEDIS pour demander le retrait et le remplacement de votre compteur en amont de toute procédure contentieuse. Par téléphone, il est conseillé d'envoyer un email au service client d'ENEDIS en y joignant un certificat médical attestant de votre intolérance aux ondes, une photo du compteur et le numéro de livraison indiqué sur votre facture (suite contenant 14 chiffres et commençant par 22).

 

La pose d'un filtre ayant fait office de consensus devant les juridictions, il est possible que cette demande soit plus aisément accueillie par les juridictions. Cette demande peut être formulée en invoquant les mêmes arguments que ceux détaillés ci-après pour une demande de retrait du compteur. 

1. Introduire une action en référé

En application de l'article 42 du Code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. Pour une personne morale, il s'agit du lieu où elle est établie, autrement dit le lieu où se trouve son siège social.

 

S'agissant des compteurs Linky, il convient de se référer à l'adresse indiquée dans les courriers émis par ENEDIS et d'intenter une action devant le tribunal judiciaire compétent pour cette adresse.

 

Pour introduire un action en référé, vous devez adresser à ENEDIS une assignation, c'est-à-dire un acte d'un commissaire de justice informant cette société qu'un procès est engagé contre elle et la convoquant devant une juridiction. Cette assignation doit être délivrée par le commissaire de justice qui la rédige.

 

Si l'avocat n'est pas obligatoire pour ce type de contentieux (il s'agit d'un litige inférieur à 10 000 euros), il vous est néanmoins conseillé de vous adresser à un avocat, idéalement situé à proximité de votre domicile. Vous trouverez d'ailleurs sur notre site une liste d'avocats partenaires compétents en la matière.

 

L'action en référé vise à obtenir une réponse rapide de la justice.

 

Il convient d'agir au plus vite à la suite de l'échec des négociations avec ENEDIS afin de prouver la réalité de l'urgence.

 

L'article 835 du Code de procédure civile dispose que des mesures peuvent être prises par les juges afin de prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite :

 

" Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. "

 

S'agissant de mesures d'urgence, le dommage doit être évident. Dans le cas des compteurs Linky, il convient de prouver la persistance des symptômes et un lien de causalité direct entre la pose du compteur litigieux et les pathologies invoquées qui justifieraient le retrait du compteur.

2. Prouver un lien de causalité direct entre la pose du compteur et les pathologies

Il convient d'insister sur l'importance d'accumuler des preuves à caractère médical.

 

L'ordonnance de référé du Tribunal judiciaire de Saint-Etienne du 5 janvier 2023 souligne en effet l'importance du diagnostic médical. En l'espèce, le requérant a commencé à avoir des céphalées et des acouphènes à compter de l'installation du compteur Linky à son domicile.

 

Ces symptômes étaient associés à des troubles du sommeil et des variations inhabituelles d'humeur. Il a alors sollicité de nombreux avis médicaux :

  • Un premier certificat médical a fait état de ces maux quelques jours après l'installation du compteur.
  • Un autre médecin a ensuite expliqué quelques semaines plus tard avoir recherché en vain un autre état pathologique permettant d'expliquer les symptômes ressentis. Selon ce dernier, le lien entre ces symptômes et l'exposition à des champs électromagnétiques avait été vérifié plusieurs fois par le patient. Il recommandait au requérant de rester isolé des champs électromagnétiques.
  • Un troisième médecin a établi un autre certificat médical décrivant des symptômes pouvant représenter un syndrome d'hypersensibilité électromagnétique ou d'intolérance attribuée aux champs électromagnétiques.
  • Enfin, des examens médicaux et des actes d'interventions dentaires étaient produits afin de prouver l'absence d'autres causes pouvant être à l'origine des acouphènes.

L'ensemble de ces preuves permettait de confirmer que les symptômes, pouvant être associés à un état d'électrohypersensibilité, étaient survenus dès l'installation du compteur.

 

Il convient ainsi :

  • De constater l'apparition des symptômes au plus vite après l'installation du compteur litigieux ;
  • De consulter plusieurs médecins afin e décrire précisément les symptômes et d'assurer une diversité d'examens pour démontrer les symptômes d'intolérance aux ondes électromagnétiques ;
  • De faire d'autres examens médicaux pour écarter d'autres causes possibles à l'origine des symptômes.

Ces pièces sont nécessaires pour prouver le lien entre l'apparition des symptômes et l'installation du compteur Linky.

3. Prouver un dommage imminent

Les certificats médicaux permettent de mettre en évidence des symptômes apparus concomitamment avec la pose du compteur, et qui pourraient donc logiquement disparaitre avec son retrait. L'importance du caractère non désactivable du compteur est à souligner. En effet, aucune mesure ne peut être prise pour arrêter ce compteur, ce qui permettrait de mettre fin aux symptômes.

 

Au-delà des troubles physiques décris par les avis médicaux, des préjudices sociaux et psychologiques liés à ce type de compteur peuvent être avancés.

 

L'ordonnance du 5 janvier 2023 met ainsi en évidence que le requérant souffre de gêne sociale pouvant caractériser une forme invalidante de l'électrohypersensibilité du fait des stratégies d'évitement d'ondes électromagnétiques. Cet impact sur votre vie sociale et le risque d'isolement doivent être prouvés par des témoignages.

 

Il faut également faire part du préjudice psychologique, qualifié de "nocebo", dû à une exposition aux champs électromagnétiques vécue comme forcée en raison de l'installation contrainte du compteur. L'angoisse générée par l'installation du compteur Linky a été reconnue par les autorités sanitaires (voir l'expertise de 2017 de l'ANSES).

 

En définitive, il convient de démontrer que l'exposition aux champs électromagnétiques des personnes présentant des symptômes médicalement constatés est incontestable après l'installation de ce compteur à leur domicile. Cela permet ensuite de conclure que le retrait du compteur permettrait de faire cesser les symptômes ressentis et constatés.

 

 


 

[1] Pour accéder aux présentations visuelles des intervenants de l'atelier, cliquez sur ce lien : https://www.michele-rivasi.eu/politique/atelier-hypersensibilite-electromagnetique-letat-de-la-science.

[2] Voir par exemple TGI de Toulouse, 30 mars 2019, n° 19/00029.

[3] Voir par exemple Cour d'appel de Bordeaux, 17 novembre 2020, n° 19/02419.