LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE RENNES, DANS UN JUGEMENT DU 6 MAI 2010, PRÉCISE LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ÉTUDE D'INCIDENCES NATURA 2000 EN BAIE DE MORLAIX
Eléments de contexte judiciaire et technique
La France n’a pas été assidue concernant l’élaboration du réseau européen Natura 2000 et la mise en œuvre des directives « Habitats » et « Oiseaux ».
En effet, elle a fait l’objet de quatre condamnations, sur cette base, par la Cour de Justice de l’Union Européenne :
Encore faut-il mentionner l’existence d’une autre procédure engagée contre la France par la Commission Européenne, et qui, sans avoir abouti à une décision juridictionnelle, a donné lieu à l’établissement de conclusions de la part de l’Avocat Général, M. SIEGBERT ALBER, présentées le 27 juin 2002 (Affaire C-202/01), aux termes desquelles il apparaissait que :
« La République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages, et aux obligations qui lui incombent en vertu du traité instituant la Communauté européenne, en ne classant pas en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés à la conservation des oiseaux sauvages de l'annexe I de la directive et des espèces migratrices, et, en particulier, en ne classant pas un territoire suffisamment vaste de la plaine des Maures. »
De plus, le réseau Natura 2000 français est fragile, tout particulièrement sur la façade atlantique.
Le premier rapport d’étape français sur l’état de conservation des zones Natura 2000, exigé par l’article 17 de la directive « Habitats » tous les six ans, le démontre.
Publié au mois d’avril 2010 par le Service d’observation et des statistiques de l’environnement, rattaché au Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, et réalisé sous la direction du Muséum National d’Histoire Naturelle, il révèle que trois quarts des habitats concernés sont dans un état de conservation défavorable (41 % dans la classe « mauvais » état de conservation ; 35 % dans la classe « inadéquat ») contre 17 % seulement dans un état favorable.
Or, avec 53 % d’habitats classés en mauvais état et le taux le plus faible d’habitats en situation favorable, la région atlantique est la région biogéographique française la plus préoccupante.
Toutes régions confondues, les habitats marins et côtiers, les dunes, les tourbières et bas-marais ainsi que les habitats d’eaux douces sont les plus dégradés.
Parmi les paramètres évalués, l’aire de répartition des espèces protégées a le plus souvent été jugée stable, à l’exception des habitats marins pour lesquels elle est généralement en régression.
Ainsi, plus de la moitié des évaluations d’espèces concluent à un état de conservation défavorable (mauvais : 33 % ; inadéquat : 21 %) contre 20 % à un état favorable.
Les directives « Habitats » et « Oiseaux » et leur interprétation par la Commission Européenne
Soucieuse de voir les directives « Habitats » et « Oiseaux » s’appliquer avec un champ d’application le plus large possible, la Commission Européenne a publié un guide sur la lecture à donner aux dispositions de l’article 6 de la directive « Habitats » 92/43/CEE.
Elle y donne en particulier une lecture extensive des dispositions de l’article 6§3 de la directive « Habitats ».
En ce qui concerne la notion de « Projet », le guide précise que ce terme « doit être interprété largement, de façon à englober les travaux de construction et d’autres interventions sur l’environnement naturel ».
Afin de déterminer si un plan ou un projet est « susceptible d’affecter le site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets », et doit donc être accompagné d’une étude d’incidences, le guide précise que « le terme « significatif » doit être interprété objectivement » et « être déterminé à la lumière des caractéristiques et des conditions environnementales spécifiques du site protégé concerné par le plan ou le projet, compte tenu particulièrement des objectifs de conservation du site ».
De plus, « Les dispositions de sauvegarde contenues dans l’article 6, paragraphes 3 et 4, sont déclenchées non pas par une certitude, mais par une probabilité d’effets significatifs. Conformément au principe de précaution, il est donc inacceptable de ne pas procéder à une évaluation au motif que des effets significatifs ne sont pas certains ».
Par ailleurs, « la probabilité d’effets significatifs peut être imputable non seulement à des plans ou à des projets situés à l’intérieur d’un site protégé, mais aussi à des plans ou à des projets situés à l’extérieur d’un site protégé. Par exemple, une zone humide peut être endommagée par un projet de drainage réalisé à une certaine distance de ses limites. C’est la raison pour laquelle il importe que les États membres, tant dans leur législation que dans leur pratique, prévoient l’application des sauvegardes prévues à l’article6, paragraphe3, aux pressions de développement situées en dehors d’un site Natura 2000, mais susceptibles d’avoir sur lui des effets significatifs. »
La jurisprudence communautaire
Dans un arrêt de Grande Chambre en date du 7 septembre 2004, la Cour de Justice des Communautés Européennes (Affaire C-127/02) a jugé que :
« l’exigence d’une évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet est subordonnée à la condition que celui-ci soit susceptible d’affecter le site concerné de manière significative.
Dès lors, le déclenchement du mécanisme de protection de l’environnement prévu à l’article 6, paragraphe 3, de la directive habitats ne présuppose pas (…) la certitude que le plan ou le projet considéré affecte le site concerné de manière significative, mais résulte de la simple probabilité qu’un tel effet s’attache audit plan ou projet. (…)
Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 3, première phrase, de la directive habitats subordonne l’exigence d’une évaluation appropriée des incidences d’un plan ou d’un projet à la condition qu’il y ait une probabilité ou un risque que ce dernier affecte le site concerné de manière significative.
Or, compte tenu, en particulier, du principe de précaution, qui est l’un des fondements de la politique de protection d’un niveau élevé poursuivie par la Communauté dans le domaine de l’environnement, conformément à l’article 174, paragraphe 2, premier alinéa, CE et à la lumière duquel doit être interprétée la directive habitats, un tel risque existe dès lors qu’il ne peut être exclu, sur la base d’éléments objectifs, que ledit plan ou projet affecte le site concerné de manière significative (voir, par analogie, notamment arrêt du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C-180/96, Rec. p. I-2265, points 50, 105 et 107). Une telle interprétation de la condition à laquelle est subordonnée l’évaluation des incidences d’un plan ou d’un projet sur un site déterminé, qui implique que, en cas de doute quant à l’absence d’effets significatifs, il y a lieu de procéder à une telle évaluation, permet d’éviter, de manière efficace, que soient autorisés des plans ou des projets portant atteinte à l’intégrité du site concerné et contribue ainsi à réaliser, conformément au troisième considérant et à l’article 2, paragraphe 1, de la directive habitats, l’objectif principal de celle-ci, à savoir assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. »
La jurisprudence nationale
Le Tribunal Administratif de Besançon, dans une décision du 18 juin 2009, a jugé que :
« Considérant par ailleurs que le préfet du Jura ne peut tout d’abord utilement faire valoir , pour justifier l’absence d’exigence d’une étude d’incidence à fournir par la société TDS, que les listes prévues par le III de l’article L.414-4 précité n’ont pas été établies ; qu’en effet il résulte du 4 de l’article 6 de la directive précitée du 21 mai 1992 que, dès lors qu’un projet est susceptible d’affecter un site classé « Natura 2000 » de façon significative, celui-ci ne peut être réalisé que si les autorités nationales compétentes ont donné leur accord, et ce après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public ; que par suite, l’article L.414-4 du code de l’environnement, qui permet l’application d’un régime uniquement déclaratif même en cas de projet susceptible d’affecter de façon significative un site « Natura 2000 », n’est en tout état de cause, et indépendamment de l’existence des listes prévues par le III dudit article, pas compatible avec les objectifs de la directive communautaire précitée du 21 mai 1992 ; (…) que par suite, dès lors qu’ainsi qu’il a été précédemment indiqué, il ne pouvait être exclu, sur la base d’éléments objectifs, que les activités de la société TDS relatives à l’utilisation de boues de station d’épuration urbaine affectent de manière significative le site classé « Natura 2000 » de la vallée du Lison, lesdites activités devaient relever d’un régime d’autorisation et le dossier présenté par la société TDS devait comprendre une étude d’incidence répondant aux conditions prévues par la directive du 21 mai 1992 » (TA Besançon, 18 juin 2009, Association de défense pour l’environnement de Lemuy et du Lison, req. n° 0801696)
Le jugement du Tribunal Administratif de Rennes en date du 6 mai 2010
C'est dans ce contexte que le Tribunal Administratif de RENNES, saisi d'une demande tendant à l'annulation d'un arrêté préfectoral autorisant la création et l'exploitation d'une plateforme ULM (paramoteurs) à proximité de la zone Natura 2000 de la Baie de Morlaix, a considéré, par un jugement du 6 mai 2010, que :
« Considérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la directive en ce qui concerne les incidences de la réalisation de la plate-forme ULM n’est pas inopérant, dès lors que la réalisation de ce projet conduit nécessairement les ULM à se diriger vers le pôle attractif que constitue la baie de Morlaix pour cette activité ; que d’ailleurs, il résulte du protocole d’accord entre la base aéronautique navale de Landivisiau et M. Dréano, que les vols « baptême » et les vols privés pénétreront dans la zone de protection spéciale Natura 2000, au moins dans son pourtour intérieur ;
Considérant, ensuite, qu’il ressort des pièces du dossier que cette zone de protection spéciale concerne principalement les sternes de Dougall, oiseaux pour lesquels la baie de Morlaix constitue l’un des sites les plus importants d’Europe ; que, dans ces conditions, la circonstance que des ULM survolent le trait de côte et, dans une moindre mesure, la mer, notamment pour se rendre à l’île-de-Batz, ne permet pas d’exclure le risque que ce projet n’affecte ce site de manière significative ; que, dans ces conditions, la décision attaquée ne pouvait intervenir sans une évaluation des incidences au sens du 3 de l’article 6 de la directive »
Les considérations du Rapporteur public devant cette juridiction sont également très éclairantes sur les éléments contextuels de l’espèce.
C’est donc au pétitionnaire, ainsi qu’à l’administration, de démontrer que l’activité projetée est insusceptible d’avoir des incidences sur les objectifs de conservation de la zone Natura 2000, et non l’inverse.
A noter, toutefois, que ce jugement a été frappé d'appel. La Cour ne s'est pas encore prononcée.
Le Tribunal Administratif de RENNES, confirmant sa jurisprudence susvisée sur le champ d'application de l'étude d'incidences en zone Natura 2000, a également fait droit, par un jugement en date du 2 décembre 2010, aux demandes formées par l'association SEMAPHORE ainsi que la Fédération d'Associations de Protection de l'Environnement du Golfe du Morbihan (FAPEGM) tendant à l'annulation d'une autorisation préfectorale pour l'organisation d'une compétition de motonautisme dans le Golfe du Morbihan, en bordure de deux zones Natura 2000.
Le tribunal reprend dans ce jugement le Considérant de principe qu'il avait formulé dans son jugement du 6 mai 2010, à savoir :
"Considérant que s'agissant des projets soumis, comme dans le cas de l'espèce, à un régime administratif de déclaration, l'article L.414-4 du code de l'environnement ne soumet l'exigence d'une évaluation de leurs incidences que lorsque ces projets figurent sur une liste nationale ou locale; que, toutefois, ces dispositions sont nécessairement restrictives, dès lors que les dispositions du 3 de l'article 6 de la directive européenne du 21 mai 1992 sont précises et inconditionnelles en tant qu'elles ne soumettent pas l'évaluation d'incidence à une liste restrictive établie par les autorités de l'Etat membre; qu'ainsi l'ASSOCIATION SÉMAPHORE est fondée à se prévaloir directement des dispositions du 3 de l'article 6 de la directive 92/43/CEE;"
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