Jocelyn Moulin nous a quitté le 31 juillet dernier. C’est avec un nœud dans la gorge et une immense tristesse, mais aussi une foule de bons souvenirs qui me reviennent en mémoire, que je prends ma plume aujourd’hui pour lui rendre un modeste hommage. Mon témoignage devra être complété par celui des innombrables personnes, parents intimes, amis de longue date ou connaissances enthousiastes d’un jour sur un salon ou à la sortie d’une conférence, qui l’ont aimé ou, tout au moins, ont enrichi leur vie de sa présence à leurs côtés.
J’ai rencontré Jocelyn toute petite, je crois, puisqu’il était un ami de mes parents lorsque mon père et lui-même travaillaient chez Celnat, une des premières entreprises françaises de transformation de produits biologiques, et que nous vivions au Puy-en-Velay. Avec mes parents et la famille Celle, fondatrice de Celnat, il faisait partie de cette petite communauté écologiste pionnière qui, malgré les railleries de l’opinion main stream, croyait à l’avenir de l’agriculture biologique, c’est-à-dire à une agriculture respectueuse des équilibres naturels, du bien-être de nos cousins non-humains, du travail et de la santé des Hommes. Tout comme mes parents et les amis Celle, il était un adepte de la macrobiotique, un régime alimentaire de santé venu du Japon. De cette époque, Jocelyn a conservé une attention extrême portée à son alimentation. Au fil du temps, d’autres enseignements, en cette matière, sont venus compléter sa vision des choses, mais je me souviens quand même qu’il tenait à ne consommer que des produits issus de l’agriculture biologique et que les fondamentaux de la macrobiotique reprenaient le dessus sur ses convictions dès qu’il était malade.
Lorsqu’il a quitté Celnat, il a tenu un magasin diététique, dans l’Allier, pendant de nombreuses années. Les ‘magasins diététiques’, à l’âge pré-contemporain où les écologistes étaient des marginaux ridiculement utopistes, étaient les points de ralliement de ces pionniers de l’agriculture biologique. Puis il a vendu son magasin et s’est lié d’amitié avec Dominique Guillet, fondateur du jardin botanique de La Mhotte, de « Terre de Semences » un peu plus tard, puis de l’association Kokopelli en 1999. C’est ainsi que, dès 1992, Jocelyn s’est mis au service de la biodiversité semencière, dans la droite ligne de ses parents, qui étaient ‘grainetiers’ avant lui. Et en 1999, il a pris la casquette de Kokopelli, pour ne plus la quitter. Je l’ai rencontré à nouveau, étant devenue adulte, en 2006 ou en 2007. Aux côtés de Pascaline sa compagne, et souvent épaulé de sa maman, il sillonnait déjà la France en tous sens pour représenter Kokopelli sur les salons ‘nature’ et les foires aux plantes, prendre la parole au nom de l’association dans les conférences, causeries, entretiens radiophoniques, etc. avec un dévouement total et une sempiternelle bonne humeur. Ce dévouement sans faille à la cause portée par l’association, mais aussi à la structure et aux amis avec lesquels il travaillait, de même que la gentillesse et la bienveillance avec laquelle il s’adressait à tous, au travail comme sur les salons, forçait véritablement l’admiration. Ainsi, par exemple, Jocelyn ne demandait jamais d’augmentation et je me souviens que, lorsqu’Ananda lui a proposé, il y a quelques années, d’adopter le statut de VRP et de revaloriser son salaire à cette occasion, il s’y est tout de suite opposé, arguant qu’il « n’avait besoin de rien ». Nous avons dû insister pour lui faire accepter son nouveau salaire. Dans tous les cas, nous le savions, une partie de ce salaire servirait à soutenir une myriade d’associations écologistes, car Jocelyn consacrait au moins un tiers de son salaire mensuel à de généreuses donations de soutien. Non pas que l’argent coulait à flot pour lui, loin de là, mais plutôt parce qu’il préférait pratiquer la générosité vraie, c’est-à-dire celle qui implique que l’on se prive un peu, en vivant modestement, pour pouvoir donner plus.
A ce sujet, qui ne se souviendra pas des lettres reçues de Jocelyn, de son écriture baroque incroyable, toute en rondeurs et en arabesques, qu’il commençait souvent par « grande sœur » ou « grand frère », et finissait toujours par sa maxime favorite : « help ever, hurt never ». Ces quelques mots, qu’il évoquait tant et avait fini par faire siens, décrivent si bien son caractère !
Jocelyn était le véritable et naturel porte-parole de Kokopelli. J’ai moi-même, pendant un temps, été investie de cette mission. Je m’en suis acquittée du mieux que j’ai pu, parlant de droit applicable et de décisions de justice, mais Jocelyn était celui qui jouait de la flûte, qui semait à tous vents, qui enchantait les esprits et les cœurs. Pour des milliers de personnes en France, plus que porter son discours, Jocelyn incarnait Kokopelli.
C’est un grand cœur qui est parti le 31 juillet dernier, emporté par un cancer de la vessie que la médecine allopathique a bien empiré, et il va profondément nous manquer. Mes pensées vont tout spécialement à Pascaline et à ses enfants, à sa maman, et à toute sa famille, qui affrontent actuellement, plus durement que pour nous tous, la perte intime d’un être cher.
Quant à Jocelyn lui-même, puisse son âme généreuse et bienveillante se fondre dans celle, immortelle, du joueur de flûte qu’il a si bien incarné. C’est ainsi que, de mon côté, je penserai désormais à lui, et à Kokopelli.
Blanche Magarinos-Rey
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